L'interview
de Sakaguchi et Aida
Cette
interview a été réalisé par Didier
Allouch et Vincent Guignebert, du magazine spécialisé
dans le cinéma horror et fantastique Mad movies.
Presse :
Avant de travailler dans l'industrie du jeu vidéo, vous vouliez
être musicien... Sakaguchi
: Effectivement,
j'ai toujours rêvé de vivre de la musique. D'ailleurs,
je joue du piano et j'ai même écrit des chansons. Mais
comme je n'avait pas assez de talent, je n'ai pas continué
dans cette voie. Peut-être aurait-je été plus
heureux si j'avait été musicien ! Presse : Comment expliquez vous l'incroyable popularité
des jeux Final fantasy ? Sakaguchi :
J'ignore les chiffres de vente pour la série complète,
mais c'est vrai que les épisodes 7, 8 et 9 se sont vendus
chacun à 3,5 millions d'unités au Japon. Il faut ajouter
à celà les 2,5 millions d'exemplaires vendus pour
chaque volet aux USA et en Europe. Mais ces chiffres ne sont pas
seulement le résultat de nos efforts et de notre énergie.
Car malgré mon âge, je suis resté un enfant,
et les idées qui me viennent à l'esprit sont typiques
de celles que l'on peut avoir adolescent. Ceci doit probablement
m'aider à conserver un lien émotionnel avec la majorité
des joueurs. Presse
: Le film est-il
né d'une frustration ou est-ce une suite logique à
votre travail sur les jeux ? Sakaguchi :
Il n'est certainement pas né d'une frustration, mais il fallait
un évènement suffisament important pour justifier
le développement au maximum des techniques du jeu. Et un
film était tout à fait envisageable dans ce cas de
figure. Presse
: Pourquoi avez
vous choisi de baser votre studio digital à Honolulu ?
Sakaguchi : C'est pour une raison trés
simple : j'aime beaucoup le surf ! Plus sérieusement, Honolulu
nous offrait une position stratégique. Il y a en effet une
vaingtaine de nationalités représentées dans
notre équipe, don't quelques techniciens français.
Mais ce sont majoritairement des créateurs qui ont travaillé
soit à Hollywood (environ 35 % de l'équipe), soit
au Japon. Ils apprécient donc cet emplacement géographique,
à mi-chemin entre l'archipel nippon et la Californie.
Presse : Pour la première fois dans
la saga, cet épisode sur grand écran se déroule
sur terre. Pourquoi ? Sakaguchi
: Une large part
des histoires de Final Fantasy se déroule dans les territoires
de l'esprit. Et spécialement cet épisode cinéma,
puisque nous y parlons beaucoup de l'au-delà. Or je voulais
que le public puisse quand même se sentir impliqué.
Et pour atteindre ce but, nous devions être proche des spectateurs,
c'est à dire leur proposer un univers familier plutôt
que de les propulser dans un monde totalement fantaisiste. C'est
également pour cette raison que le scénario se déroule
dans un futur relativement proche. Presse :
Comment compareriez vous les techniques narratives du jeu à
celles du film ? Sakaguchi
: Dans les jeux,
qui se rapprochent des méthodes employées par les
rôlistes, vous ne pouvez pas donner une entière liberté
aux joueurs. Mais ils doivent cependant avoir un certain éventail
de possibilités, pour qu'ils conservent l'impression de créer
l'histoire tout en progressant. Savoir ce qui faut imposer, et ce
qu'il faut laisser comme libre arbitre est un équilibre délicat
à trouver et l'une des grandes gageures de jeux. Dans le
film, évidemment, on doit donner au script une situation
de départ et un but final. Le concepteur n'a donc aucun répondant
de la part des utilisateurs de sa réalisation. les 2 cas
posent donc leurs propres problèmes. Mais basiquement, on
peut dire que j'utilise des outils similaires pour raconter une
histoire au cinéma ou dans les jeux vidéos. Sauf que
je ne peut pas arrêter mon film pour que les utilisateurs
interviennent sur la narration. Il faut donc avoir quelque chose
de trés puissant à transmettre et penser à
scénario suffisament fort pour impliquer son audience pendant
une heur et demie. Presse :
Pensez vous que les fans attendent avec autant d'impatience votre
film et le prochain volet du jeu ? Sakaguchi :
Il m'est difficile de répondre à cette question. Mais
sur la fan page d'internet, il y a toujours une section consacrée
au film où les fans peuvent poster leurs commentaires, et
j'ai l'impression qu'ils attendent avec beaucoup d'impatience cet
épisode cinéma. Maintenant, les exigences des spectateurs
sont trés différentes de celles des joueurs, ce sont
2 situations quasiment incomparables. Nous nous sommes tout de même
demandé si le fait d'adapter le jeu pour le grand écran
ne trahissait pas le matériau d'origine. Car dans la mesure
où l'histoire est imposée aux spectateurs dans le
film, il y a effectivement une contradiction avec les principes
du jeu. Mais d'un autre coté, quel est le thème de
Final Fantasy ? C'est de toujours renouveler les défis que
nous offre les nouvelles technologies. De ce point de vue, la philosophie
de la saga est respectée et je pense que les fans reconnaîtront
le jeu dans le film. Ce qui est important finalement, c'est que
l'épisode cinéma possède la même saveur
que celle du reste de la série. Maintenant, je suis bien
incapable de définir ce goût ! Presse : En vous engagenat sur ce projet fou, vous vous êtes
heurté à l'incrédulité de certains de
vos pairs ? Sakaguchi
: Je ne suis pas
certain que des gens aient vraiment tenu ce genre de discours, du
moins, ils ne sont pas venu directement en parler avec moi. Par
contre, quand nous avons démarré la production, plusieurs
projets hollywoodiens similaires sont rentrés en développement.
Et par la suite, ils ont tous capoté. Presse : Ne pensez vous pas que les critiques portant sur l'utilisation
d'acteurs digitaux alimentent finalement un faux procès ?
Sakaguchi : Ce type de question est effectivement
un peu absurde puisque l'attraction générée
par les comédiens ne viens pas seulement de leur performances,
mais aussi de leur background. A l'inverse, les personnages artificiels
n'ont pas de passé. Je ne crois donc pas que l'image de synthèse
soit amené un jour à remplacer les acteurs en chair
et en os. Elle a plutôt pour vocation de nous ouvrir de nouveaux
horizons en terme cinématographique et en terme de spectacle
en général. Grâce à elle, nous sommes
capables, aujourd'hui, des choses qu'il était tout simplement
impossible de concevoir jusqu'à présent. Ce film fait
partie d'un de mes rêves : j'aimerais, d'ici 5 à 10
ans, pouvoir créer une nouvelle forme de divertissement interactif,
où l'utilisateur plongera dans un univers convaincant. Et
pour assurer une totale interactivité, ce monde devra être
entièrement généré par des images de
synthèse photo réaliste. Dans les années à
venir, ce que vous avez vu dans le film pourra donc être tout
aussi crédible, mais dans le cadre d'un média interactif.
A ce stade, l ne s'agira plus tout à fait de ce que l'on
appelle un "jeu" vidéo. D'ailleurs, je pense que
l'activité on-line va favoriser le développement en
parallèle de l'industrie cinématographique et de l'industrie
du jeu. A partir du moment où l'on pourra télécharger
des films chez soi, par Internet, le cinéma va certainement
évoluer pour s'amalgamer aux jeux vidéos.
Presse : Le film n'est donc qu'une étape
vers ce nouveau média ? Sakaguchi :
Oui, tout à fait. Il est important de toujours innover pour
apporter une nouvelle fraîcheur. Mamoru Oshii, avec Avalon
oeuvre dans cette perspective. Nous travaillons tous à repousser
les frontières des nouvelles images. Presse : Vous ne ferez donc jamais un Final Fantasy 2 avec de
vrais acteurs ? Sakaguchi
: Je vous ai déjà
exposé le but que je m'était fixé. Il n'y a
donc aucune raison pour que nous abandonnions notre travail et nos
recherches sur l'image de synthèse. Presse : Quelles étaient vos intentions et vos exigences
en terme de réalisme ? Sakaguchi :
Je voulais me frotter aux aspects les plus délicats de l'image
de synthèse, et le corps humain a toujours été
la chose la plus difficile à obtenir. Mon premier défi
était donc de créer des humais numériques photo-réalistes.
Ensuite, si vous voulez vraiment impliquer vos spectateurs dans
une histoire, vos personnages doivent imposer leur propre crédibilité.
C'est pourquoi nous devions dépasser la simple apparence
photo-réaliste pour que ces "acteurs" prennent
vie, pour que leurs expressions faciales traduisent bien toute la
charge émotionelle que l'on attend de tels personnages. Or,
c'est exactement le gnre de choses qu'il est difficile à
obtenir avec les images digitales. Et on ne parvient certainement
pas à un bo résultat en se contentant de changer les
expressions de la bouche. Ce sont les Aliens qui ne bougent que
la bouche ! Lorsque nous sourions, par exemple, toutes les portions
du visage se modifient, le front, les sourcils, tout. Il faut également
réussir à tenir compte des moindres détails
parsque si vous en oubliez un, vous perdrez toute impression de
réalisme. Par exemple, il est commun de croire que les dents
sont blanches. C'est faut. Elles sont blanches, mais surtout transparentes.
Repérer ces détails qui crédibiliseront vos
images est la difficulté majeure que nous ayons rencontré.
Presse
: Dans les jeux
Final Fantasy, les personnages sont lancés dans une longue
quête, et à la fin, ils découvrent souvent quelque
chose qui concerne leur propre identité. Vous êtes
japonais, mais vous travaillez désormais à Hawaii,
vous êtes scénariste, producteur, concepteur de jeux,
vous devenez aujourd'hui réalisateur de cinéma...
Est-ce que vous avez l'impression vous aussi de "chercher quelque
chose" ? Sakaguchi
: Merci pour votre
question, c'est la première fois que l'on me fait cette remarque.
Inconsciemment et jusquà un certain degré, j'ai effectivement
inclu mes craintes et mes espoirs dans mes créations. Et
cette recherche d'identité doit en faire partie. C'est un
sentiment trés personnel qui m'a poussé à faire
Final fantasy. J'ai encore en moi cette détresse qui m'a
étreint lorsque ma mère est morte, il y a 10 ans déjà.
Ce fut une période trés pénible. Aki est d'ailleurs
un personnage qui est probablement proche de ma mère : elle
a un caractère solitaire et fort à la fois. S'il y
a dans les salles des gens qui ont dû affronter récemment
un moment douloureux, ou qui ont perdu un être cher, alors
j'espère que mon film pourra leur apporter du réconfort.
Je ne peut pas trés bien l'expliquer, mais il y a dans Final
Fantasy beaucoup de dialogues et de scènes qui parlent de
l'au-delà et des liens entre la vie et la mort.
Presse : De qui pensez vous être
le plus proche : Pixar et Disney, ou les réalisateurs d'animés
nippons ? Sakaguchi
: Ne serait-ce
que du simple point de vue de l'organisation, nous sommes trés
proches d'un studio comme Pixar. Presse :
Vous vous sentez donc plus d'affinités avec John Lasseter
(Toy Story) qu'avec Hayao miyazaki (Princesse Mononoké) ?
Sakaguchi : (rires) En réalité,
j'ai l'impression d'être le fils de Miyazaki ! Presse : Etes vous cinéphile ? Sakaguchi :
Oui, mais je regarde les films qu'en DVD. Exepté pour les
plus vieux titres, j'ai probablement dû voir tous les films
qui ont été édités sur ce support. Mais
il n'y a pas eu un auteur en particulier qui m'a inspiré.
Je pourrait vous citer Ridley Scott, Tim Burton, Georges Lucas ou
encore James Cameron. Mais plus que leut thématique, c'est
le perfectionnisme de ces réalisateurs qui m'impressionne.
Presse
: Il y a beaucoup
de rumeurs sur le coût de Final Fantasy... Sakaguchi : On ne peut pas dévoiler le montant exact de notre
budget, surtout avant la sortie du film. De toute façon,
ça ne sert à rien de jouer à ce genre de devinette
parsque Final Fantasy représente un investissement à
log terme. Nous avons déjà commencé un second
film, et nous pensons en faire d'autres après. C'est dans
cette perspective qu'il faut évaluer notre budget qui comprend,
par exemple, la création de ce studio à Honolulu.
Et puis notre passage au cinéma va permettre de mieux diffuser
le jeu. Les 2 supports vont donc se nourrir mutuellement, et c'est
alors que nous engrangerons vraiment des bénéfices.
Presse
: dans le cinéma,
il est courant que les réalisateurs se connaissent. Est-ce
la même chose dans l'industrie du jeu vidéo ? Sakaguchi : Oui, je connait d'autes concepteurs de jeux. Je peut
vous dire que Shinji Mikami (Resident Evil) boit beaucoup par exemple
! Nous échangeons certains secrets, nous testons les jeux
des autres, nous échangeons des idées, nous nous critiquont
mutuellement. Ils me doivent donc beaucoup ! Presse : Pensez vous que d'autres créateurs de jeux vont
passer prochainement au cinéma , Sakaguchi :
Ce n'est pas parsqu'on veut le faire que l'on peut le faire. Il
faut pouvoir assurer ses derrières, ne serait-ce que logistiquement.
Nous, nous avons pu effectuer ce passage parsque Square a accepté
de créer un studio digital. Maintenant, il s'agit encore
de 2 industries distinctes, et il faut pouvoir obtenir l'aval des
décideurs de votre compagnie pour passer d'un secteur à
l'autre. Et puis je suis un gros joueur, j'espère donc que
tous les concepteurs ne vont pas se mettre au cinéma !
Dupuydups
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